Comment et pourquoi le concept d'allocation étouffa l'individualisation

De Lillois Fractale Wiki
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Le concept d’allocation figure parmi les plus largement utilisés aujourd’hui. C’est à présent un concept de base, incontournable dans la conception d’outils de gestion de portefeuille. Cependant il s’agit en fait d’un usurpateur ! Il s’est retrouvé utilisé de manière inappropriée, et cette confusion créa dans l’industrie de gestion d’actifs des dégâts considérables. L’une des règles de base en modélisation est – quel que soit le domaine d’application – l’orthogonalité (ou indépendance) des concepts assemblés pour décrire un système. Dans le cas de la gestion d’actifs financiers, cette règle fut enfreinte lors de l’écriture des premiers logiciels de gestion d’actifs. Plus précisément, cette règle fut enfreinte lors de l’utilisation du concept d’allocation. Ceci mérite quelques explications.

Qu’est ce qu’une allocation ? Chacun sait qu’une allocation est un ensemble de poids attribués à des classes d’actifs au sein d’un portefeuille, ou au sein d’un sous-ensemble de portefeuille. On peut préciser que ces classes doivent former un ensemble mutuellement exclusif (sans intersection) et exhaustif (pour couvrir le portefeuille global ou son sous-ensemble). Mais le fait critique est simple et évident : une allocation se rapporte toujours à un portefeuille, ou plus précisément à un profil d’investissement. Mais quelle est l’utilisation faite de ce concept d’allocation? La réponse est au moins double. D’une part, l‘utilisation la plus commune du concept d’allocation est l’expression d’une recommandation par un expert. Ainsi, un comité d’investissement, ou une équipe d’analystes, exprime ses conclusions sous forme d’une « allocation recommandée », ou bien souvent sous forme de plusieurs allocations recommandées, une par profil de risque. D’autre part, la seconde utilisation du concept d’allocation fait partie de la spécification a priori d’un profil d’investissement. Pour un fonds commun de placement par exemple – et bien souvent pour les clients supérieurs de banque privée – des allocations (globales, géographiques, sectorielles,…) sont introduites en tant que spécifications exprimées dans un prospectus d’investissement ou par le client individuel.

Est-ce une bonne idée d’utiliser le même concept d’allocation à ces deux niveaux ? En fait c’est une grosse erreur, et la raison en est assez simple. En tant qu’expression d’un profil d’investissement, il est sage d’utiliser ce concept, puisque la notion de poids est inévitablement liée à la définition des actifs d’un portefeuille. Par contre en tant qu’expression d’une expertise, elle est inappropriée parce que déjà réductrice : l’expression d’une expertise peut être bien décrite sans aucun lien avec l’idée d’un portefeuille! Le fait qu’un expert analyste ait des perceptions positives ou négatives (qu’il s’agisse, de prévisions, d’estimation ou d’opinion) à propos d’entités sectorielles, géographiques, ou explicitement à propos d’instruments, tout cela n’a intrinsèquement aucun lien avec la présence ou l’existence de quelque portefeuille que ce soit.

Cependant l’habitude s’installa pour les experts d’exprimer leur avis sous cette forme simple et apparemment pratique, et le concept d’allocation fut ainsi présent et mal utilisé dans la plupart des premiers systèmes de gestions d’actifs.

La conséquence de cette maladresse de modélisation fut la difficulté, et même l’impossibilité, de gérer de manière adéquate des profils multiples et variés. Si l’expression de l’expertise prend la forme d’une allocation, alors forcément le nombre de profils qui seront potentiellement suivis pourra difficilement excéder le nombre d’allocations produites et disponibles. Voici pourquoi de nos jours, même lorsque les banquiers privés mettent en avant un argument d’individualisation, la plupart d’entre eux sont de facto amenés à regrouper des innombrables individualités en quelques familles de clones, bien souvent de trois à six. L’individualisation réelle est donc devenue un luxe pratiquement inaccessible, et, pire encore, conceptuellement inaccessible.

L’origine de cette confusion est bien sûr liée au besoin d’industrialisation. Comment une banque pourrait-elle gérer efficacement des milliers de profils à la fois semblables, mais présentant de légères variations ? Le piège était ouvert, et aucune alternative ne fut évaluée ou acceptée : au lieu de repenser avec de nouveaux concepts un existant limité, des adaptations mineures furent introduites, pour aboutir au paysage actuel, ou l’individualisation est handicapée ou impossible.

Ayant constaté cette déficience, la question suivante se pose : y a-t-il comme alternative une conceptualisation plus appropriée, satisfaisant à la fois les attentes d’individualisation et les exigences de processus industrialisés ? Se rapportant aux profils d’investissement, l’allocation est un concept satisfaisant. Mais en tant qu’expression d’une expertise d’investissement, il doit être remplacé. Le concept nouveau, élégant et efficace introduit ici est celui d’opinion.

Voici de quoi définir ce nouveau venu. Une opinion est une expression générale, scalaire, de la perception subjective d’un expert ou d’un groupe d’expert, indépendamment de toute application à un processus de gestion de portefeuille. L’utilisation ici d’opinions, au lieu d’allocations, implique une réorganisation de systèmes et logiciels de gestion d’actifs. Mais non seulement il réconcilie les promesses d’individualisations avec les exigences de l’industrialisation ; il ouvre également la porte à de féconds nouveaux modèles de business interinstitutionnels. L’opinion devenant une matière première échangeable et vendable, quelque chose comme de l’essence pour des moteurs de gestions… mais ceci est une autre histoire !

Philippe Gonze

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