Souvenirs germes

De Lillois Fractale Wiki
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Que sommes-nous de plus qu'un enchevêtrement confus de souvenirs disparates, voués à une lente évaporation?

Que sommes-nous de plus que des enfants installés dans des corps d'adultes?

Voici quelques-uns de mes souvenirs d'enfance et d'adolescence, choisis parce qu'ils forment les germes des représentations érotiques qui m'ont habitées.

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Je devais avoir 7 ans, et cela se passa durant une journée estivale tiède. Je jouais aux petites voitures sur le sol carrelé d'une cuisine toute jaune, pièce aux décorations d'un autre temps dans une maison d'un autre temps. J'y bénéficiais de la présence complice d'une femme qui combinait les fonctions de domestique et de gouvernante. Le monde était simple. Vint ma mère, qui prononça quelques instructions aimables. D'elle je ne vis, étant couché au sol, que des hauts talons, des mollets et des genoux fins, et les mouvements légers d'une robe aux couleurs d'eaux tropicales. Elle fit quelques mouvements, s'intéressa quelques secondes à moi, et repartit vite. Moi, je restai suspendu à cette image. Ce que j'avais vu ne pouvait être qualifié de "beau", et certainement pas encore d'"excitant". "Troublant" serait le moins mauvais mot. Cette image m'avait laissé un goût inconnu et puissant, que je n'avais pas le souci de comprendre mais qui est resté bien imprimé dans les neurones malléables du petit mâle que je devenais.

Dans mon enfance je ne fréquentais que des garçons. J'ai des frères bien plus âgés que moi, et pas de sœurs. L'école catholique était organisée par des bonnes sœurs autour d'une séparation stricte et efficace des garçons et des filles. Elles n'étaient visibles qu'à travers un grillage, et il ne me serait pas venu à l'idée de regarder les pratiques de ces étranges personnes que l'on tenait prudemment éloignées de moi. En fait de femmes, je ne connaissais que des femmes mûres. Leurs relations avec moi était simples et positives: elles admiraient le joli petit garçon que j'étais, et les agiles neurones qu'elles me demandaient parfois d'exhiber. Mais des filles de mon âge, cela n'existait que dans les livres ou les films.

Le second souvenir a pour cadre l'école des bonnes sœurs "Servites de Marie". A la sortie de l'école, je croisais parfois deux sœurs jumelles, qui quittaient l'école dans le même direction que moi. Elles étaient jolies, certainement plus âgées que moi, identiques d'apparence et de vêtements. Il se fit qu'un jour, elle vinrent en vêtements à franges, de couleur brune, de matière soyeuse. Le hasard me fit associer cette image, je suppose, à celle de jolies indiennes vues dans un film quelconque de cow-boy et d'indiens. Quoiqu'il en soit, se forma l'image de moi en viril cow-boy, confronté à elles en délicates indiennes. Des situations d'affrontement, de combat, de plaisante domination et de plaisante soumission cristallisèrent dans mon esprit innocent. Elles étaient belles, rebelles, désirables, et dans mon imagination tournaient des films centrés sur leur sensualité à frange. Jamais je ne leur ai adressé la parole, mais ces images forment des racines fortes de mes représentations érotiques.

Longtemps je restai ignorant des différences anatomiques entre filles et garçons. Les cours d’éducation sexuelle me parurent bizarres et inintéressants. J'ignorais tout du monde féminin, et surtout ce que l'on pouvait donner aux filles ou recevoir d'elles. Un peu d'instruction me vint des revues pour homme que je découvris sur la table de nuit de mon père. Les pulpeuses créatures des pages centrales n'avaient rien à voir avec les filles du monde réel, mais bien sûr leur peau lisse et leur formes bien mises en valeur me tourmentaient. Là encore, je conçus une représentation mentale restée imprimée dans ma mémoire. Je me voyais nageant la brasse sur de longues distances, avec agrippée à mon dos l'une de ces personnes, épuisée, confiante et reconnaissante de mes efforts natatoires. Cette position favorite m'incite à penser aujourd'hui que je n'avais alors toujours pas d'idée des complémentarités anatomiques des sexes, et qu'à défaut d'une position masculine adéquate, je me trouvais dans une position plutôt réservée par la nature au sexe féminin. Cette image-là a peut-être un rapport flou avec certaines composantes féminines que je découvris en moi bien plus tard.

La première fille que je vis avec une image incontestablement et puissamment féminine était une collégienne de bonne famille, que je vois encore en tenue bien sage, alternance de bleus clairs et sombres de la tête aux pieds, avec la touche blanche des innocentes soquettes. Je devais avoir 16 ans, et mon ignorance des choses de la vie serait encore intacte pendant deux étés. Elle était blonde, fine, d'une beauté classique et vive, avec des yeux bleus ou verts. C'était la sœur de compagnons d'écoles, rencontrée chez eux comme complément imprévu pour former les équipes de jeux. Plusieurs composantes s'imposent à mon souvenir. Elle souriait fréquemment et intensément, et ses sourires exprimaient la joie de vivre, la curiosité, et le désir de conquête. Ses yeux aussi souriaient intensément, et je crus y deviner de la curiosité et de l'appétence pour les jeunes garçons. Nous jouions à des jeux où il s'agissait de se cacher, de se trouver, de se rattraper. "Poursuis-moi, que je t'attrape" ? Elle aimait beaucoup cela. Elle avait également un vif plaisir, hérité de sa mère et partagé avec elle, à se moquer et à taquiner les garçons. Jamais il ne me vint à l'idée de la regarder droit dans les yeux, d'effleurer ses mains ou ses joues. J'étais hélàs infiniment trop timide et maladroit pour cela. Elle m'était inaccessible, et je suppose que je me défendais de toute défaillance derrière la fausse assurance de mon intelligence distante. Je ne suis pas tombé amoureux d'elle, et j'en étais encore incapable, mais certainement elle m'apprit, plus ou moins volontairement, le trouble que l'être féminin peut ériger dans l'être masculin.

Par le suite, les choses devinrent bien sûr plus concrètes pour moi. Je découvris des filles et des femmes, peu à la vérité, et je vécus le cortège de passions, troubles, lâchetés, malentendus et blessures qui forment le tissu d'une vie. De ces quelques personnes centrales dans mon existence, je ne retiens cependant que des images positives, irrémédiablement positives. Les conflits dans ma mémoire sont bien pâles comparés aux couleurs vives des instants de rencontre, de désir, de manque, de plaisir, d'abandon, de vie et de mort simultanés.

Si j'ai gardé la face positive de ces femmes, c'est sans doute pour une bonne part grâce aux forces positives de ces premiers souvenirs érotiques anciens. J'adresse à ces femmes mais aussi à ces souvenirs une reconnaissance indéfectible.